A-t-on besoin d’une super agence pour gérer les participations de l’Etat?

Pierre angulaire de la réforme du secteur public, le projet de loi 82.20 portant création de l’Agence nationale chargée d’assurer la gestion stratégique des participations de l’Etat a été examiné lundi par la Commission des finances au sein de la première chambre. Quels sont les enjeux de la création de cette agence et est-ce qu’il est judicieux d’en créer une ?

Alors qu’une seule journée nous sépare de la fermeture du Parlement (15 juillet), le gouvernement ainsi que la Commission des finances se précipitent pour boucler in extremis le texte du projet de loi n° 82.20 nécessaire pour la réforme du secteur public. Un bouclage qui s’impose vu que l’agenda de la réforme prévoit une transformation en profondeur du secteur public à partir du début du prochain quinquennat. Et ce, au point de donner lieu à un report de la clôture de la session du printemps et donc de l’actuelle législature prévue initialement pour demain jeudi.

Lundi, le ministre de l’Economie et des Finances a présenté ledit projet devant la Commission des finances à la Chambre des représentants. Dans son allocation devant les membres de ladite commission, il a présenté une liste préliminaire des grands groupes détenus par l’Etat et ceux qui détiennent un portefeuille de filiales qui pèsent dans les indicateurs du secteur public.

Présenté in extremis ce projet de loi vient d’être transféré à la Chambre des conseillers, ce qui nécessitera au moins quelques jours avant sa validation et son retour à la première chambre pour une deuxième.

Bien que l’on ne sait pas si cela va engendrer un report de quelques jours de la clôture de la législature, on connaît d’ores et déjà que cette agence est présentée comme l’un des principaux leviers de ladite réforme. Sa mission consistera à assurer la gestion stratégique des participations étatiques ainsi que le suivi de la performance des établissements et entreprises publics (EEP). Une gigantesque mission qui appelle à la réflexion sur sa faisabilité et son utilité.

Des établissements disparates sous la même coupole ?

A partir du moment où l’on sait que cette agence va chapeauter des établissements disparates qui ont des vocations et des logiques divergentes, il y a lieu de s’interroger sur la faisabilité et même de l’utilité d’une telle agence.

Joint par Hespress FR, l’économiste Mohamed Chiguer s’est interrogé : « est-il rationnel de créer une agence qui va chapeauter des établissements disparates ? ».

Allant dans le détail, il s’est également sur le « comment ». « Comment va-t-on réconcilier tout cela par rapport au texte de chaque établissement pour en faire un établissement sous la coupole de l’agence ?

Donnant l’exemple de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG), il a rappelé que le Dahir instituant la CDG (n°1-59-074 du 1er chaabane 1378 (10 février 1959)), « fait de son Directeur général le seul maître à bord et que même la commission de surveillance (équivalent du Conseil d’administration ndlr) n’a pas de président ». Et d’ajouter, « chaque année on demande au Gouverneur de Bank Al Maghrib (BAM) de présider la réunion, mais le premier responsable et l’unique responsable reste le Directeur général ».

Ainsi, il a mis en exergue la question de réformer le texte de création de chaque établissement devant entrer dans le giron de cette super agence.

Selon cet ancien Directeur des études et du contrôle de gestion à la CDG, l’intégration de celle-ci dans le texte de réforme, impose la réforme de son texte de création.  Idem pour le reste des établissements concernés.

« Comment va-t-on concilier tout cela par rapport au texte de chaque établissement pour en faire un établissement sous la coupole de l’agence ? », s’interroge-t-il dans le même sillage.

Quelle faisabilité ?

Dans la même veine, ce vieux de la vielle a mis en garde contre la répétition des erreurs commises lors de la réforme du système financier, notamment, la transformation des organismes financiers spécialisés en banques universelles qui a donné lieu à un problème de financement de certains secteurs.

« S’il est question de fusionner le CIH et le Crédit Agricole, on aura des problèmes de cette nature. Le CIH était spécialisé dans le financement du tourisme, le Crédit Agricole dans l’agriculture, la BNDE dans l’industrie. Lorsqu’ils ont décidé de les transformer en banques, on a eu le problème de financement de certains secteurs », a-t-il affirmé.

Pour le président du Centre d’études et de recherches Aziz Belal (CERAB), il faut se poser la question « quel est l’objectif à travers tout cela ? ».

« Si l’on va gagner du côté comptable avec la rationalisation de certaines dépenses, l’on peut perdre du côté du financement de l’économie », estime-t-il.

D’un point de vue institutionnel, Hespress FR a interpellé M. Chiguer sur l’éventuel affaiblissement du gouvernement développeur.

« Bien sûr », répond de prime abord cet ancien commis d’Etat en soutenant : « on va priver les ministères de leurs bras financiers ou du bras par lequel ils interviennent dans certains secteurs en les obligeant à passer par l’agence ».

« L’agence sera un super ministère des établissements publics. Comment va-t-elle concilier entre l’Office national interprofessionnel des céréales et des légumineuses (ONICL) ou la Caisse de compensation d’un côté et la CDG d’un autre ? », s’interroge notre interlocuteur.

« S’il s’agissait de création d’une agence qui va superviser les établissements financiers, une autre qui va superviser les établissements commerciaux, j’aurais pu dire à la limite (…), mais  dans le cas du fait, il y a un problème.

« D’un côté, déjà il faut réformer certains textes des établissements publics et de l’autre on se mêle les pinceaux. On fait de l’agence un super ministère et on prive les ministères et le gouvernement certainement des marges qu’il a pour réaliser et exécuter son programme ».

Ce n’est pas du tout rationnel. C’est beaucoup plus comptable et beaucoup plus une manière de faire échapper ces établissements au contrôle du Parlement », affirme-t-il en soulignant qu’il a toujours eu une volonté de « débudgétiser tout ce qui relève du gouvernement et faire échapper une partie du budget du contrôle parlementaire ».

A-t-on besoin d’une super agence pour gérer les participations de l’Etat? Hespress Français.

Afficher plus

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page