Raissouni depuis la prison : « Au revoir ! Où ? Je l’ignore »

Cela fait 72 jours que le journaliste Souleimane Raissouni est en grève de la faim au sein de la prison d’Oukacha à Casablanca, pour protester contre sa détention provisoire, en isolement, depuis plus d’un an pour «viol avec violence et séquestration » contre un individu de la communauté LGBT . Des accusations qu’il a toujours niées et rejetées. Aujourd’hui, la vie de Souleimane est en danger, comme l’affirme sa famille et comme il l’affirme lui-même dans une lettre poignante qu’il a dictée à son avocat depuis la prison, et dont Hespress Fr détient copie. 

« Aujourd’hui, jeudi 17 juin 2021, je suis à  71 jours de ma bataille des intestins vides. Et c’est quelque chose dont ni l’administration pénitentiaire ni le ministère public ne doutent », a écrit l’ex-rédacteur du journal « Akhbar Al Yaoum« , qui s’interroge, en faisant référence à son cas, s’il est concevable qu’une personne en grève de la faim depuis 3 mois soit en bonne santé alors qu’elle a perdu 35 kg depuis son arrestation, et 18 kg depuis le début de sa grève.

Dans sa lettre, le journaliste affirme que son pied droit est devenu quasiment paralysé, d’après les affirmations des médecins de la prison locale Ain-Sbaa 1 – Oukacha, ainsi que du professeur Boutayeb de la délégation du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH).

« Le professeur Boutayeb m’a choqué devant la délégation du CNDH qui m’a rendu visite mercredi 16 juin, lorsqu’il m’a dit : « Malheureusement, vous ne retrouverez pas la sensation de votre jambe droite même si vous reprenez la marche après un long traitement« , a-t-il écrit.

Souleimane a également tenu à répondre à ceux qui voient en sa grève de la faim un acte de « lâcheté » en leur demandant d’être « courageux et d’arrêter de manger rien que la moitié de la période de sa grève« . « Et condamnez-moi à ce moment aux peines les plus sévères« , a-t-il lancé.

« Ma grève de la faim est la forme de protestation la plus sévère. Seul celui qui a subi une immense injustice est capable de la mener« , a-t-il exprimé, se demandant si « Mohamed Bouazizi (vendeur ambulant tunisien qui s’est immolé par le feu en décembre 2010 provoquant la révolution en Tunisie) était un lâche quand il s’est immolé?« .

Le journaliste poursuit dans sa lettre qu’il attend avec impatience, depuis son arrestation, le jour où il pourrait « parler dans un procès indépendant et équitable » pour exposer le « crime » commis contre lui. « Je suis prêt, voire avide du procès en étant libre. C’est mon droit et j’y parviendrai. Soit devant le tribunal de Casablanca, soit devant le tribunal de Dieu« , peut-on lire dans sa lettre.

Pour conclure, le journaliste a tenu à laisser un dernier mot « non pour susciter la sympathie d’une autorité judiciaire ou politique« , mais qui selon lui, peut-être son dernier mot.

« Je suis père d’un enfant qui n’a pas terminé sa deuxième année. Et si je surprends un jeune homme en train de maltraiter mon fils, ‘Dieu l’en garde », je risque de perdre la tête et ne sais pas quelle serait ma réaction. Et malgré ça je dis : Si j’ai attenté à la pudeur de quelqu’un ou essayé ou même pensé un jour à commettre un tel acte, que Dieu réserve le même sort à mon fils (ndlr) (…) Au revoir. Où ? Je l’ignore« , a soutenu Souleimane Raissouni dans cette lettre qu’il a dictée « au prix d’un effort énorme au vu de son état de santé assez critique ».

La FIJ en appelle au Roi Mohammed VI

Dans une lettre adressée ce 15 juin au Roi du Maroc Mohammed VI, la Fédération internationale des journalistes (FIJ) demande la libération immédiate du journaliste, dont l’état de santé extrêmement préoccupant nécessite des soins immédiats.

« Au nom de la Fédération internationale des journalistes, première organisation mondiale de la profession, nous demandons la libération immédiate du journaliste Souleimane Raissouni, dont la vie est en danger après 67 jours de grève de la faim » , peut-on lire dans le courrier adressé le 15 juin au Roi Mohammed VI par la FIJ qui représente plus de 600.000 journalistes répartis dans 150 pays.

« Souleimane Raissouni, rédacteur en chef du journal Akhbar Al-Yaoum est en détention depuis le 22 mai 2020, et a entamé il y a plus de deux mois maintenant une grève de la faim pour protester contre son incarcération. En isolement depuis plus d’un an, notre confrère a perdu près de 40 kilos et se trouve dans un état de faiblesse extrême pouvant entraîner sa mort. Ce journaliste a droit à un procès équitable et au respect de la dignité de sa personne et nous vous implorons, Votre Majesté, que tout soit mis en œuvre pour qu’il ait la vie sauve » , a exprimé la FIJ dans son courrier envoyé depuis Bruxelles et signé par le secrétaire général de la fédération, Anthony Bellanger.

Il convient de rappeler que le journaliste Souleimane Raissouni est poursuivi sous le chef d’inculpation de «viol avec violence et séquestration ». Toutes les demandes de liberté provisoire sous condition de sa défense, 12 au total, ont été rejetées par la chambre criminelle de la cour d’appel de Casablanca.

Les militants des droits de l’Homme et la famille de Raissouni, mais aussi la famille d’Omar Radi accusé pour une autre affaire de « financements étrangers et atteinte à la sécurité intérieure de l’État » et de « viol», appellent à leur poursuite en état de liberté conditionnelle, puisqu’ils répondent à l’ensemble des critères pour pouvoir bénéficier de cette mesure. Mais le ministère public a estimé que le placement d’Omar Radi en détention, tout comme les refus successifs de liberté conditionnelle étaient « légaux (…) compte tenu des lourdes charges pesant sur lui« .

Depuis l’arrestation des deux journalistes, le climat dans le milieu de la presse au Maroc est encore plus tendu que d’habitude et la liberté d’expression reste contrainte par des lignes rouges à ne pas dépasser de peur de subir le même sort, avancent plusieurs militants des droits de l’Homme.

D’ailleurs, les familles des deux journalistes et les militants des droits de l’homme n’ont e de cesse de clamer que qu’ils ont été incarcérés pour leur audace et leur plume critique et non pour les crimes qui leur sont reprochés. Même si crime il y a, les deux journalistes ont le droit de bénéficier d’une libération conditionnelle et d’un procès équitable, font-elles observer.

Raissouni depuis la prison : « Au revoir ! Où ? Je l’ignore » Hespress Français.

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