
Maroc, African Lion et impacts politique et géostratégique… El Housseini dit tout
L’African Lion (plus larges manœuvres interarmées annuelles sur le continent africain) pour son édition 2022, s’est déroulé essentiellement au Maroc mais aussi en Tunisie, au Sénégal et au Ghana. Dans le Royaume, les opérations ont eu lieu à Agadir, Tan Tan, Al Mahbès à une cinquantaine de kilomètres de Tindouf, Taroudant, Kénitra et Ben Guérir…
L’exercice a d’abord pour objectif d’ « améliorer notre niveau de préparation, les compétences des armées participantes et de renforcer nos partenariats », a précisé le chef du commandement américain pour l’Afrique (Africom), le général Stephen Townsend au terme de l’exercice militaire international « African Lion » co-organisé par le Maroc, pays hôte depuis 2004. Plus de 7.500 soldats originaires d’une vingtaine de nations ont participé à l’exercice « African Lion 2022 » sur le sol marocain.
Ce plus grand exercice militaire conjoint (Maroc-Etats-Unis) sur le continent africain s’est tenu sous un contexte géopolitique bien particulier, alors que s’accroît l’instabilité dans la région. En effet, en arrière-plan d’« African Lion », la poussée des groupes extrémistes violents et l’arrivée de Wagner au Sahel mais pas que, puisqu’on peut volontiers ajouter, d’autres enjeux géopolitiques et géostratégiques dans les scénarii de ces exercices militaires.
“Si vis pacem, para bellum“
Le politologue Mohamed Tajeddine El Housseini, professeur des relations internationales à la Faculté de droit de l’Agdal à Rabat, sollicité par Hespress.fr, nous décrypte ceci et comme à l’accoutumée d’une analyse pertinente. Et ça commence fort : « Je pense que ces exercices militaires ont un impact politique certes, mais géostratégique, économique et paradoxalement aussi pacifique. Pourquoi ? parce que la locution latine “Si vis pacem, para bellum (« Si tu veux la paix, prépare la guerre » en français) qui représente le concept de paix armée n’a jamais été autant d’actualité qu’en ce moment dans cette région du monde. Faut-le dire, nous sommes sous le joug de la dissuasion, comme au beau vieux temps ».
Par ailleurs, poursuit le politologue, «le fait d’organiser ces manœuvres militaires avec une superpuissance au Sahara n’est pas donné à tous, quel que soit leur rang dans la hiérarchie mondiale. Le fait aussi d’organiser African Lion régulièrement et d’une façon permanente chaque année, dans des régions contestées est une reconnaissance de facto de la marocanité de nos provinces du sud ou tout au moins une complaisance avec le Maroc de la part de la communauté internationale et de l’ONU ».
En outre, ajoute-t-il, « le fait d’amener les Etats-Unis à organiser des manœuvres militaires à Mahbès par exemple à une cinquantaine de kilomètres des camps des séquestrés de Tindouf en Algérie que contrôlent les séparatistes, est un acte qui en plus d’être courageux, est significatif à plus d’un titre. Il avertit les ennemis que l’équilibre régional bascule et que le rapport de force a changé complètement ».
La diversification des partenaires est une force
On s’en souvient, poursuit-il, « les Etats-Unis n’étaient pas complaisants il y a quelques années avec le Maroc, surtout quand l’administration de Barak Obama avait intégré à la mission de la Minurso le respect des droits de l’Homme en 2015 ou 2016. Le Souverain avait bien reçu le message et avait cherché d’autres puissances à preuve ses visites en Inde, en Chine et en Russie où le Royaume avait même signé des conventions stratégiques avec ces pays. Le Maroc avait pris la décision de ne plus mettre +tous ses œufs dans le même panier+ si l’on peut dire ainsi ».
Pour Tajeddine El Husseini, « diversifier ses partenaires, pouvoir être en position de force pour pouvoir dicter ses conditions. C’est pour cela, qu’il y a eu un changement radical dans la position des Etats-Unis à l’égard du Maroc qui a au demeurant été renforcée par les accords d’Abraham. Mais ce qui est important, pour s’imposer il faut être capable d’avoir d’autres partenaires dans ses relations au niveau international. Moi je pense déjà, que le Maroc arrivera à conclure ce genre de pactes avec les Etats-Unis, considéré comme un partenaire stratégique au-delà de l’Atlantique ».
De plus, dit-il, « les Etats-Unis ont commencé à organiser régulièrement, ce que l’on appelle le dialogue stratégique avec le Maroc présidé par les chefs de la diplomatie des deux pays et auquel participent même les représentants des Forces Armées Royales et d’autres Instances d’ordre stratégique. Les Etats-Unis sont un partenaire incontournable pour le Maroc ».
Guerre froide et alliances
Sur sa lancée, le politologue souligne qu’aujourd’hui « nous sommes à l’orée d’une guerre froide. Mais qu’on se le dise, elle ne ressemble pas du tout à celle des années soixante avec ses caractéristiques (coexistence pacifique, politique de détente etc. .) et où il n’y avait pas autant de puissances nucléaires qu’actuellement. Aussi, si une confrontation a lieu elle sera fatale à la planète et à l’humanité. Alors chercher des alliés valables et d’un certains niveaux n’est plus une option ou un choix mais une nécessité ».
« Ce genre de formation d’alliance, estime-t-il, est progressivement de plus en plus évident. Il est même question de créer un nouvel “Otan“ au niveau de certains pays de la région. La visite de Joe Biden au Moyen Orient, en Arabie Saoudite va dans ce sens et il y aura même des négociations à cet égard. Le Maroc devrait rejoindre cette alliance du Moyen Orient. C’est on car si demain il va y avoir des attaques de la part de l’Algérie ou d’autres ennemis comme les mercenaires de Wagner, le Royaume du Maroc se trouvera dans le cadre d’une alliance bien renforcée ».
La position géographique du Maroc un atout énorme
Evoquant un autre aspect de la chose, l’expert relève qu’il « faut considérer la position du Maroc dans cette région du continent comme une plate-forme stratégique pour établir une liaison plus forte entre l’Europe et l’Afrique. Le fait d’avoir normalisé les relations entre le Maroc et l’Espagne, est d’une extrême importance. Les infrastructures à venir comme le tunnel du Détroit de Gibraltar pour lequel les commissions maroco-espagnoles se sont penchées est en voie de concrétisation ou le gazoduc Nigéria Maroc qui traversera 14 pays pour déverser son gaz vers l’Europe indique combien la position du Maroc est stratégique pour les deux continents« .
De plus dira-t-il, « il existe également au Maroc des infrastructures portuaires énormes sur deux fronts de mer différents comme Tanger-Med ou le port immense, de Dakhla-Atlantique pour lequel un budget rien que pour son lancement d’1 milliard de dollars a été déjà accordé et servira également les besoins africains. Les investissements et coopération économique ne manquent pas et la plateforme Maroc, est bien placée pour cela. Malheureusement il est un obstacle qui s’appelle l’Algérie et je ne dis pas l’Algérie en elle-même, mais le régime algérien qui au lieu de collaborer à l’épanouissement du Maghreb pour un +Win-Win+ profitable à toute la région est en train de tout gâcher en refusant la main tendue du Roi Mohammed VI« .
Maroc, African Lion et impacts politique et géostratégique… El Housseini dit tout Hespress Français.